Un village de 1 300 habitants, Hérouxville, en Mauricie, hier encore inconnu de 99,9 % de la population québécoise, publie des «normes de vie» de cinq pages et voilà que les gens s'arrachent la chemise sur deux continents. Une partie du Québec réagit comme si on venait de publier
Mein Kampf II, une autre souhaiterait que toutes les villes se dotent d'un code de ce genre tandis qu'en Europe les champions déçus du multiculturalisme, les
Britanniques, cliquent frénétiquement sur toute nouvelle qui mentionne le mot
Haywrouville (Merci
Caroline pour cette info!). Qu'est-ce que ça veut dire, tout ça?
D'abord, rétablissons les faits, cela me semble urgent. Un coup d'oeil au
site Web de la petite municipalité suffit pour me convaincre que Hérouxville n'est pas gouverné par un dictateur xénophobe et raciste, quoi qu'en disent certains journalistes-blogueurs déchaînés (
Martineau et
Lagacé, entre autres), mais par un élu, un homme ordinaire au vocabulaire défaillant, armé de bonnes intentions, qui tente de répondre tant bien que mal aux préoccupations de ses concitoyens, inquiets, dans un contexte de débat social sur des accommodements raisonnables qui dérapent et d'incitation par le gouvernement à l'installation d'un plus grand nombre d'immigrants en région.
Cet homme s'adresse ensuite à Immigration Canada pour lui demander de l'aider à peaufiner sa «solution». La démarche est démocratique et honnête, mais les normes de vie telles qu'elles se présentent sont - comme on peut s'en douter - très maladroites. Hérouxville ne compte peut-être qu'un seul immigrant, par ailleurs fort content de son sort et bien intégré, mais son initiative exprime un malaise ressenti, je crois, par une bonne partie de la population québécoise, dont il faut parler.
Je vais donc présenter ces normes de vie point par point et les commenter.
À propos des femmesLe maire insiste sur l'égalité des hommes et des femmes, car même si évidemment la lapidation, l'excision ou même le meurtre de femmes sont interdits par le
Code criminel, il a quand même remarqué qu'une bonne partie des problèmes liés aux immigrants concerne le refus de cette égalité. La France, un pays expérimenté en matière d'immigration musulmane et africaine, insiste elle aussi sur cette égalité dans sa brochure d'accueil des immigrants, même si l'interdiction de la discrimination sexuelle est aussi inscrite dans ses lois. La France mentionne même la polygamie, chose à laquelle notre bon conseil municipal n'a pas pensé...
À propos des enfantsL'école est obligatoire pour les enfants, et la violence à leur endroit interdite. Normes inutiles, car inscrites dans les lois.
À propos des festivitésÉcouter de la musique, boire de l'alcool et danser sont des choses normales dans la société québécoise... Bon, les talibans ne sont quand même pas arrivés chez nous, là! Calmons-nous! Quoique j'ai entendu parler d'une musulmane qui a interdit à une non-musulmane de boire de l'alcool en sa présence... dans un restaurant! (Oui, je la connais personnellement et elle n'est heureusement pas représentative de tous les musulmans, je sais.)
Faire des sapins de Noël à la fin de l'année civile concerne autant la sphère publique que la sphère privée. Cela fait partie de notre patrimoine et cette fête n'est pas que strictement religieuse. On peut ouvrir un débat sur le sens de Noël, mais disons qu'en gros le maire veut dire que nous tenons beaucoup à nos traditions festives. Bon point.
À propos des soins de santéAucune loi n'interdit qu'un homme soit soigné par une femme et vice-versa. Le maire en parle en long et en large, conscient du fait que ce problème commence à devenir épineux dans certains hôpitaux de Montréal. Aucune loi ne l'interdit, mais on sent le besoin d'insister sur le danger de céder aux pressions, car cela porterait atteinte au principe d'égalité entre les hommes et les femmes et mettrait en péril notre système de soins de santé déjà bien fragile. Bon point.
Les hommes peuvent assister aux cours prénataux de leur compagne. Le maire fait clairement allusion au problème qui s'est posé récemment au CLSC de
Parc-Extension. Ce problème relève de la mixité, normale au Québec, et du droit du père à participer à la naissance et à l'éducation des enfants, reléguées uniquement aux femmes dans plusieurs cultures. Bon point.
Un médecin peut pratiquer une transfusion sanguine sans égard aux tabous religieux si la vie du patient en dépend. Ce point s'adresse évidemment aux témoins de Jéhovah et je crois que cette question a déjà été débattue à la Cour suprême, mais je n'en connais pas l'issue.
À propos de l'éducationLes filles ont leur place à l'école, qui est maintenant laïque. Les demandes de locaux de prière seront donc refusées. Les armes sont interdites dans les écoles. Tous les enfants peuvent faire du sport. La nourriture servie à la cafétéria est traditionnelle et ceux qui n'en veulent pas mangent ailleurs. On chante des chansons de Noël. On enseigne l'histoire nationale et la biologie dans les écoles. Ici, on soulève encore le problème de l'égalité des sexes avec la place des filles à l'école et dans les sports. Il est également fait référence au kirpan, perçu comme une arme plutôt que comme un symbole religieux. Il me semble que la cour a tranché en faveur de la valeur religieuse du kirpan, mais le débat sur le degré de laïcité dans les écoles n'est pas clos.
Personnellement, l'intégrisme laïque à la française ne me plaît pas vraiment. Quant à la nourriture, il est facile de toujours prévoir un menu végétarien, ce qui règle bien des problèmes de nature alimentaire, philosophique ou religieuse. Ce serait un accommodement raisonnable à mon sens, et d'ailleurs c'est ce que font les compagnies aériennes et même les congrégations catholiques qui hébergent des étudiants de toute confession. Au fait, pourquoi le maire s'inquiète-il donc du sort des cours d'histoire et de biologie dans les écoles???
À propos des sports et des loisirsRebelote à propos des filles et du sport et de la mixité, notamment dans les piscines.
Vous saurez apprécier ce nouveau mode de vie, si c'en est un, en partageant nos us et coutumes, dit le maire. En gros, habituez-vous, c'est de même icitte pis c'est l'fun. ;)
Ils ont oublié de parler des shorts et des vêtements de sport ajustés, cause des tourments de l'enfer des juifs ultra-orthodoxes voisins d'un
YMCA de Montréal.
À propos de la sécuritéLes fonctions policières peuvent être exercées par des hommes et des femmes. Encore ce bon vieux principe de l'égalité des sexes si difficile à avaler pour certains...
On se promène à visage découvert pour faciliter son identification. La seule exception, c'est à l'Halloween. Nous acceptons que l'on nous prenne en photo pour les pièces d'identité. On fait bien sûr allusion au hiqab, ce voile intégral qui pose vraiment un problème dans notre culture, et pas que pour des raisons de sécurité. Cela concerne la représentation de la femme comme objet de tentation, ce qui est avilissant à nos yeux, et porte atteinte au principe d'égalité des hommes et des femmes, absolument non négociable chez nous, en plus de couper la communication. Le hiqab symbolise une division trop marquée entre les personnes de religions différentes.
À propos du travailNous avons des normes du travail et des jours fériés à respecter, car ils sont régis par des lois, votées démocratiquement. Les hommes et les femmes travaillent côte à côte. Les conventions de travail ne prévoient pas de dispositions relatives aux prières. Autrement dit, pas de congé férié pour toutes les fêtes religieuses de toutes les religions. Et quand on travaille, ben on travaille et la religion n'a pas sa place.
Ce point peut faire l'objet d'un long débat, car que penser de la capacité de travailler sous pression et avec précision d'un chirurgien épuisé par un ramadan? Ou des compétences de cette
policière du Royaume-Uni qui refuse de simplement serrer la main d'un homme car les musulmanes ne touchent pas d'autres hommes que leur mari? Comment fera-t-elle pour en arrêter un? On peut tout de même se poser la question et demander des clarifications à ce sujet de manière à être rassurés, le cas échéant.
À propos des commercesLe maire insiste encore sur la mixité chez les employés de commerces et les consommateurs.
Il ne faut pas se surprendre non plus de voir plusieurs sortes de viande côte à côte, comme du poulet, du porc, de l'agneau, etc. , dans un étal. On voit que le maire veut aussi éviter les situations dans lesquelles des musulmans ou des juifs exigeraient que le porc soit vendu à un autre endroit que le reste de la viande, le problème étant toujours l'exigence et non le bon vouloir du boucher, qui peut décider d'accommoder quelques clients autrement s'il en a la capacité.
À propos des famillesLes parents élèvent ensemble leurs enfants et les filles sont libres d'épouser qui elles veulent. Les membres d'un couple peuvent être ou ne pas être du même sexe, de la même religion, de la même race, etc. Dans nos familles, les garçons et les filles mangent ensemble à la même table des légumes et/ou de la viande et peuvent manger les deux en tout temps de l'année. Si les enfants mangent de la viande, ils n'ont pas à savoir qui a tué l'animal ni comment il a été tué ni quel jour. Ces viandes sont approuvées de toute façon. Encore des allusions de bon aloi à l'égalité des sexes et une allusion au mariage homosexuel, permis par la loi. Quant à la formulation de la question relative à la viande cachère ou hallal, elle est farfelue et la question inutile. Le maire explique que chez nous, eh ben, c'est comme ça. Cependant, je ne vois pas en quoi un maire peut se mêler de ce que les gens mangent chez eux!
ConclusionsJe pense qu'il faut sentir dans ce «Chez nous, c'est comme ça» en cinq pages, un besoin des gens de se protéger contre les exigences exagérées d'autres cultures, mais également un besoin de se définir et d'expliquer - d'une façon bien naïve et maladroite, cependant - notre mode de vie, nos traditions et nos valeurs aux immigrants et de leur dire que nous les accueillons et leur accordons les mêmes droits que nous mais qu'ils ont aussi l'obligation de respecter notre culture et notre mode de vie et de vivre avec nous. Il n'est pas possible de recréer ici le pays qu'ils ont quitté.
Finalement, si de simples citoyens sentent le besoin de faire cette démarche, on peut se poser cette question : les gens d'Immigration Canada font-ils bien leur travail? Renseignent-ils bien les immigrants sur la vie au Québec et au Canada? Peut-être bien que non. À en croire nos chers Français mécontents d'immigrer.com non, assurément! Peut-être y a-t-il encore du travail à faire de ce côté-là de la clôture?
Mais revenons à l'exemple de la France. En France, les immigrants qui veulent obtenir un titre de séjour reçoivent une brochure qui présente un peu les «normes de vie» des Français, ils voient une vidéo présentant les institutions françaises et certaines coutumes régionales et sont invités à signer un contrat d'accueil et d'intégration, à ce jour facultatif (mais son obligation est à l'étude). On les instruit aussi sur l'égalité absolue et non négociable entre les hommes et les femmes et on leur rappelle ce principe d'égalité à de nombreuses reprises tout au long de la formation civique (de huit heures) et des entretiens avec les agents de l'immigration. Toutefois, en consultant le site Web de l'
ANAEM, l'organisme responsable de l'accueil des immigrants, j'ai constaté que 8 % des refus féminins de signer ce contrat sont motivés par... l'interdiction par leur conjoint de le faire ou la pression communautaire!
La cohabitation harmonieuse n'est vraiment pas gagnée avec les éléments radicaux ou ultra-orthodoxes de certaines cultures, même avec la meilleure préparation possible, mais jusqu'où va l'obligation de vivre en harmonie avec son voisin? Doit-on s'effacer devant lui pour préserver la paix? Je crois que l'initiative de Hérouxville annonce qu'il est nécesaire de réexaminer le contrat social passé avec nos immigrants, qui viendront en plus grand nombre au cours des prochaines années, d'expliquer davantage nos caractéristiques culturelles non négociables et d'annoncer ainsi nos limites en matière d'accommodement raisonnable.