
Quand je vais manger seule au restaurant, il arrive souvent qu'un autre client seul, placé comme par hasard à la table à côté de la mienne par les bons soins de Patrick, mon bistrotier de quartier préféré, se mette à discuter avec moi. Hier soir, j'ai été initiée à la vénerie - ou chasse à courre - par mon distingué voisin de table, un monsieur d'une soixantaine d'années à l'allure toute mitterandienne.
D'abord je lui explique que je suis contre la chasse, car j'aime les animaux vivants et je ne comprends pas qu'avec l'élevage des bovins et la disponibilité de la viande on s'en prenne encore aux animaux sauvages. Je lui sors donc mon imagerie canadienne du chasseur en chemise à carreaux qui s'amuse, entre deux caisses de bière, à aller dans le bois pour tirer avec une arme super sophistiquée sur des animaux en vue d'aller se pavaner en ville, une tête de chevreuil attachée sur le hood de son char*.
Sa revue La Vènerie à la main, mon pseudo-aristocrate de voisin m'explique alors que la chasse à courre est vieille de 2000 ans mais a été transformée en art par François 1er et que loin d'être un trip de colon, c'est une pratique séculaire française noble et écologique. Rien de moins!
Un équipage de veneurs en tenue de chasse traditionnelle
En gros, la vénerie consiste à poursuivre un animal sauvage (traditionnellement cerf, sanglier, renard ou lièvre) avec une meute de chiens, jusqu'à sa prise éventuelle. Les chasseurs (appelés veneurs - d'où le terme «sauce Grand Veneur»), montent habituellement à cheval pour suivre les chiens, qui sont en fait les vrais chasseurs grâce à leur odorat et à leur instinct naturel de prédateur. L'homme n'est là que pour assister les chiens et mettre à mort l'animal, sans arme à feu.
Ce mode de chasse repose sur la connaissance des animaux et la science du chien, qui s'apprennent sur le terrain au prix d'une longue expérience et se transmettent de génération en génération.
Si l'animal traqué est pris, les veneurs sonnent l'hallali à l'aide d'une trompe, qui annonce la mort. L'animal de petite taille est tué par les chiens et celui de grande taille, comme le cerf, par un homme seul (le piqueux) armé d'une dague. Le cerf traqué, épuisé par la courre, est prêt à charger l'homme qui va le tuer
J'avoue que cette forme de chasse me paraît correcte, car l'animal chassé a de bonnes chances (environ 4 sur 5) de s'en tirer grâce à sa ruse et à son agilité et les chiens pistent généralement une proie qui leur paraît faible, ce qui est tout à fait naturel et bon pour l'espèce. J'ai aussi souligné à mon voisin de table le fait que les hommes d'aujourd'hui ont du mal à exprimer leur virilité et leur atavisme de prédateur dans un monde devenu un peu trop politiquement correct et aseptisé. En attendant que l'on reconnaisse ce phénomène, les plus idiots se défoulent dans le hooliganisme, notamment.
En passant, il est intéressant de noter que de nombreuses expressions tirées du vocabulaire de la vénerie sont restées dans la langue contemporaine : donner le change, sonner l'hallali, marcher sur les brisées, être aux abois, à cor et à cris, etc.
*Avez-vous vu comme je sors mon québécois et mon franglais lorsqu'un sujet m'horripile? :)