13 décembre 2008

Quelques mots sur l'homme grec


Le métro d'Athènes, construit à l'occasion des Jeux Olympiques de 2004

À Athènes, les hommes (très souvent mariés) draguent beaucoup, notamment dans le métro, tout neuf et pas encore déprimant comme le métro parisien. Ils griffonent leur numéro de portable sur mon ticket, que je m’empresse de jeter à la poubelle quand je sors du métro. Je remarque qu’ils ont tous la même réaction quand ils m’abordent : ils parlent de la voiture qu'ils ont laissée à la maison et du nombre de maisons qu'ils ont, comme si c’était la honte de prendre le métro et un signe criant de pauvreté. Ils semblent croire aussi que ce qu'ils possèdent les rend nettement plus intéressants, voire irrésistibles, pour une femme. «J’ai, donc je suis», semble me dire l’homme grec, «et j’ai les moyens de t’avoir». L'Orient, c'est la porte à côté et on n'est pas bien loin de négocier le nombre de chameaux, il me semble...


Le métro d'Athènes, encore tout neuf

Comme je rencontre souvent par hasard des hommes qui ont bien réussi financièrement (sans doute parce que ça se passe souvent du côté de Syntagma - gouvernement, pouvoir, argent - ou peut-être parce que je suis étrangère et que ça les attire) et qui réagissent toujours en mettant en avant ce qu’ils possèdent pour se présenter, j’ai eu l’occasion de tester diverses répliques. Je trouve très intéressante la possibilité d’évoluer dans des situations qui se répètent jour après jour. Comme dans Le Jour de la marmotte...

Je suis passée de répliques un peu sarcastiques comme «Ah, trois toits c’est plus qu’il n’en faut au-dessus d'une seule tête», inutilement aggressives, finalement, à «Moi j’ai un chat, un sac à dos et l’envie de connaître ton pays», un peu flirt... Ce n’est pas méchant et en minimisant ce que je possède pour attirer l’attention sur une autre façon d’utiliser le verbe avoir, je fais réfléchir quelqu’un d’intelligent sans pour autant l’agresser. Aris, ou l'homme aux quatre maisons, a souri en entendant cette dernière réplique et m'a dit : «Tu as de la chance, tu fais quelque chose que j’ai toujours eu envie de faire, mais je ne peux plus avec mes affaires». Ce qui me rappelle l'histoire du pêcheur pauvre et du riche investisseur... Le bling-bling et le prestige ou la liberté chérie, cela semble être le talon d'Achille et le combat intérieur des Grecs que je rencontre.

12 décembre 2008

Dommage...


Photo prise à Syntagma à la fin de l'après-midi. La manifestation est terminée. Tout le monde est calme. Les visages sont détendus. On arrive même à sentir un peu de chaleur! Après tout, tout le monde est dans le même bateau...


Mise à jour, vendredi 14 h -- L'hélicoptère s'est remise à tourner au-dessus de la ville, signe qu'il se passe quelque chose. Je vois dans Libération, sur Internet, que les manifestations ont recommencé de plus belle, place Syntagma. Le premier ministre n'est même pas au pays...

Rien ne changera donc en Grèce. Alors qu'on nettoie Athènes et que le gouvernement, qui s'est contenté de faire le dos rond en se cramponnant au pouvoir pendant les émeutes, s'apprête à distribuer des euros pour consoler les propriétaires de boutiques saccagées, les médias, privés de spectacle à grand déploiement, se détournent maintenant de la Grèce sans qu'aucun journaliste n'ait donné d'explication satisfaisante quant aux raisons profondes de ces émeutes. Tout ce grabuge n'aura servi à rien. Tipota.

De leur côté, les vrais mécontents ont raté une occasion en or d'expliquer au monde leurs problèmes et de dire clairement ce qu'ils veulent. La pression exercée par l'opinion publique mondiale aurait peut-être pu pousser le gouvernement à faire quelque chose, à inclure les jeunes dans ses programmes, à se pencher sur le problème de la brutalité policière, mais non. Ils n'ont rien dit. Aucun discours intelligent d'aucun porte-parole n'a été transmis et personne n'a bien compris. Pire, le premier ministre Caramanlis n'a pas daigné s'adresser aux jeunes en colère. Bref, le monde retiendra qu'une bande de casseurs a mis Athènes à feu et à sac en décembre 2008 et pas grand-chose d'autre. Vraiment dommage.

09 décembre 2008

Fotia stis trapezes... le feu aux banques

Dernière heure, mardi soir : Il semble que les émeutes se poursuivent aujourd'hui sous la forme d'une vague de pillage des magasins d'Athènes. À la télé, on voit les jeunes vider tranquillement des magasins sans qu'il n'y ait de policiers en vue. Ailleurs, là où les jeunes mettent le feu aux poubelles dans la rue et lancent des cailloux, on a vu des policiers braquer leur revolver sur eux. Des douilles ont été trouvées et montrées à la télé. Un autre policier faisait semblant de tirer sur des jeunes avec sa main. Pas étonnant qu'un tel drame soit arrivé avec de tels imbéciles et que la ville soit livrée sans résistance à des pillards-enfants! Quelle incompétence générale! Les présentateurs n'arrivent pas à cacher leur dégoût. Le gouvernement ne fait rien et la police est incompétente. C'est le chaos. La population s'indigne et grogne. Le pays est en perdition. Je ne serais pas étonnée de voir le gouvernement - déjà affaibli par divers scandales et conservant la majorité par une seule voix - tomber. Espérons qu'il tombera sans causer plus de catastrophes!


Rayons de soleil à travers les branches brûlées du sapin de Noël, place Syntagma

Je suis allée faire un tour dans certains secteurs touchés par les émeutes qui ont eu lieu à Athènes, soit les rues Panepistimiou et Stadiou, qui vont de Syntagma à Omonia, et une partie de la rue Alexandras, près d'Omonia. Dans ces secteurs, peu de boutiques sont touchées, outre quelques vitrines brisées - le pillage n'était visiblement pas le motif, sauf pour deux bijouteries complètement détruites, peut-être par des voyous opportunistes - et le mot d'ordre était clair : Fotia stis trapezes... le feu aux banques. Constatez par vous-mêmes.

Les émeutes qui embrasent la Grèce actuellement n'ont rien à voir avec les émeutes des banlieues parisiennes en 2007, si ce n'est un mal-être certain. Elles ne sont cependant pas le fait de simples casseurs et touchent autant les pauvres que les bourgeois. Elles ont été réfléchies et portent l'empreinte de l'idéologie anarchiste.

Les anarchistes utilisent la mort du jeune Alexis pour catalyser la colère de tous les Grecs, qui en ont gros sur le coeur depuis longtemps contre le gouvernement, qui ne fait rien de bon et s'en met plein les poches en vidant la caisse de retraites et celle de la santé, contre la crise économique et ces banquiers richissimes qui jouent avec l'argent du peuple, contre le mirage de l'Europe, dont ils seront toujours le parent pauvre obligé de brader ses grandes entreprises, des transports (l'aéroport d'Athènes et le port du Pirée ne leur appartient plus!) aux télécommunications (OTE, la compagnie de téléphone et d'Internet), pour continuer de faire partie du club, contre l'euro, qui a provoqué la hausse vertigineuse du prix des produits de base alors que les salaires n'augmentent pas, et contre un pays qui n'offre aucun avenir aux jeunes s'ils ne sont pas pistonnés par tel ou tel personnage haut placé, à ces mêmes jeunes qui ont fait de longues études - souvent dans les meilleures universités du monde grâce aux sacrifices de leurs parents, qui occupent souvent deux emplois pour les y envoyer - et parlent au moins deux langues pour finalement faire un petit boulot à 800 euros par mois. Voilà le résultat.


Le sempiternel MacDo qui écope...


Un luxueux hôtel près du Parlement


Des boutiques...


Le feu s'est propagé aux appartements au-dessus...


Alors qu'on visait le H&M en dessous. Pas brillant.


Dans une autre boutique, la marchandise est visiblement intacte, malgré la vitrine ouverte.


Ici aussi.


Peu de dégâts, rue Ermou, dans le secteur de Syntagma. Du verre brisé.




Le grand magasin Attica, où tout coûte trop cher. Des ouvriers sont en train de refaire la vitrine.


Par contre, les banques y ont goûté. Plus on avance vers le quartier Omonia, plus la destruction par le feu est grande.




"Pour le sang d'Alexis" (le jeune garçon tué par la police).




















Là, je n'ai pas bien compris... des cafés sans prétention. Détruits.


Ici non plus. Le roi du loukoumadès à Athènes, un dessert délicieux et tout simple.




En rouge, des directives anarchistes : Le feu aux banques... pas aux épiceries. Tellement grec : on ne gaspille pas la nourriture!.




Une bijouterie incendiée... probablement pillée auparavant.


Une autre bijouterie détruite, pas très éloignée de l'autre, sur la rue Panepistimiou.


Rue Alexandras, cette banque est une perte totale.




La banque Millennium, place Omonia, est elle aussi détruite.




La Banque du Pirée, ravagée.


Une autre banque incendiée, au coin de Syntagma.


Intérieur calciné.


Tout a été effacé sur le marbre une heure après mon passage... mais les trois derniers jours ne s'affaceront pas de sitôt dans la mémoire des Grecs.

08 décembre 2008

Émeutes et révolte en Grèce

Tout le monde a maintenant entendu parler de cet adolescent de 15 ans qui est mort sous les balles de la police pour avoir participé à une manifestation anarchiste à Athènes, samedi soir. On a dit bien des choses dans les journaux électroniques et à la télé à ce sujet (Attention : Le jeune n'était pas armé et ne lançait pas de cocktails Molotov, contrairement à ce que certains prétendent!) et je suis choquée de voir le traitement qu'on a fait à ce drame. La répression meurtrière de la police (réputée pour son incompétence et sa brutalité)réveille bien sûr de douloureuses blessures chez les Grecs, qui ont subi une guerre civile et une dictature au cours des soixante dernières années. De plus, on ne touche pas impunément aux enfants dans la Grèce orthodoxe. Mais...

Et si la mort de ce jeune cristalisait aussi la frustration et les rancoeurs que les Grecs ont accumulées à l'endroit d'un gouvernement corrompu jusqu'à l'os, éclaboussé par divers scandales financiers au fil des dernières années et que l'on soupçonne même d'avoir trempé dans les grands incendies (très souvent criminels) de l'été 2007? Et personne ne soulève le problème de fond, à l'origine des manifestations anarchistes et, finalement, des émeutes qui ont enflammé toute la Grèce et ne semblent pas près de s'éteindre.

Parmi les âneries que des lecteurs ont publiés dans les forums électroniques de Libération et du Figaro, qui me font craindre le pire quant à la santé de la société française, car la majorité des interventions pourrait se résumer à "Mort aux jeunes (= cons, racailles)!" ou "C'est la faute de la gauche!"(Nulle comparaison possible entre les émeutes en Grèce et celles des banlieues en France), je suis tombée sur l'intervention sensée d'un lecteur, probablement d'origine grecque, que je publie intégralement ici tant elle résume bien la situation de la Grèce... et finalement de plusieurs pays d'Europe. Est-ce à dire que le mouvement risque de se propager à l'extérieur du pays?

1 - Personne ne veut évoquer le fait que la vie est devenue très chère en Grèce depuis l'adoption de l'euro, le salaire moyen est inférieur à 1000 euros, voire 800 euros, et le prix de la nourriture a doublé au minimum.

2 - Personne ne veut dire que Carrefour a racheté tous les supermarchés grecs depuis l'adoption de l'euro, que la banque commerciale (Emporiki, 2e banque grecque), la banque agricole (Agrotiki trapeza), la banque génrale (Geniki trapeza) ont été rachetées par des banques françaises, en particulier la BNP.

3 - Personne ne dit que l'ambassade de France est là uniquement pour représenter ces firmes françaises qui rachètent toutes les entreprises grecques, du moins les parts de marché qu'elles représentent.

4- Personne ne dit que l'aéroport d'Athènes et la principale compagnie de télécommunications, OTE, a été concédé à des entreprises allemandes, que le port du Pirée a été concédé à une entreprise chinoise. Autant dire que la Grèce perd peu à peu le contrôle de ses outils de transport et de communication.

5 - Personne ne dit que les partis politiques, le Pasok pour la gauche ou la ND pour la droite, sont aux mains des mêmes groupes familiaux depuis des générations, et que la Grèce s'est libérée de la tutelle turque, mais qu'elle n'a jamais connu de révolution poltique et sociale. On se succède très souvent de père en fils à la tête du parti socialiste ou du parti de droite (droite, gauche, c'est pareil), à la tête de la mairie d'Athènes, voire comme premier ministre...

6- Enfin les Grecs vivaient beaucoup mieux avant l'adoption de l'euro qui est une catastrophe. Pour la jeunesse grecque, le parti centriste de droite est devenu le symbole de cet abandon de leurs droits, de leurs espérances.

On le sait, les jeunes réagissent toujours avant les "vieux" et sont le ferment des révolutions... Qu'en pensez-vous? En a-t-on finalement assez du "Les gros mangent les petits", de la mondialisation, du capitalisme à outrance et le fait-on savoir bruyamment?

Évidemment, je ne cautionne pas la violence et la destruction, mais je trouve qu'il y a là matière à réflexion.

P.S. J'écoute la télé en direct et ils viennent de mettre le feu au sapin de Noël géant qui décore la place Syntagma... tout un symbole.

16 novembre 2008

Départ

J'ai quitté la Crète samedi pour Athènes, où je passerai l'hiver. Cependant, ce n'est qu'un aurevoir car avril verra mon retour. Juste avant de partir, j'ai pris ces photos, dont quelques-unes d'un arc-en-ciel.


Oranger sous l'arc-en-ciel









26 octobre 2008

Automne crétois


Ma plage aujourd'hui... la mer est agitée

Dans deux semaines je vais quitter la Crète et ma petite maison de pierre avec ses deux jardins emmurés. Cette combinaison - maison crétoise et jardins très privés - est assez unique, car le mot "privé" n'existe pas en grec. Mais comme mon propriétaire est anglais (et donc maniaque des clôtures et de l'intimité) et a conçu les jardins, j'ai pu profiter du meilleur de la vie crétoise tout en ayant mon petit coin à moi, à l'abri des regards qui nous intimident souvent, nous, Occidentaux.


C'est l'automne. Ma plage est déserte

Je me suis rendue presque tous les jours sur cette plage pour me baigner. Elle n'est pas spécialement jolie, selon les "normes" crétoises (il y a des plages vraiment magnifiques), mais elle se trouve à 10 minutes à pied de la maison et elle change continuellement, ce qui la rend intéressante. La mer rejette et reprend sans cesse une bande de galets en lui donnant diverses formes ponctuées d'espaces de sable, comme si elle écrivait chaque jour un message différent sur la plage, dans une langue inconnue.


Ma première marmelade maison, avec les fruits du jardin!

Les oranges et les citrons du jardin ont commencé à prendre des couleurs et j'ai fait de la marmelade avec les premiers fruits mûrs. Vivre ici, en pleine nature, m'a donné envie de cuisiner. J'ai plein d'idées de recettes, inspirées par ma cueillette quotidienne de fruits que je ne connaissais pas ou qui m'étaient peu familiers : figues, figues de barbarie (ça pousse sur un cactus!), grenades... Les herbes fraîches qu'on trouve partout (origan, aneth, marjolaine, romarin) me donnent aussi des idées.



À quoi ressemble la vie dans un village crétois? Sans doute à la vie de nos grands-parents à la campagne. C'est une vie agricole, simple et tranquille. Tout le monde se salue et les gens semblent s'être habitués à moi. J'aime bien quand les agriculteurs m'envoient la main sur leur gros tracteur. Le dimanche est le seul jour de repos pour la majorité des villageois. La messe du dimanche matin, qui dure deux heures, est diffusée à l'aide de haut-parleurs. Impossible de la manquer, même couché dans son lit. :) Il y a un pope qui chante comme un ténor et un autre qui chante comme une casserole et, malheureusement, ils chantent en duo!



Parmi les bruits familiers, outre le chant discordant des deux popes, il y a les cris d'animaux : les chèvres, les poules, les coqs, les chiens de garde, les colombes, les innombrables chats qui se battent ou se font la cour. On entend aussi passer les marchands ambulants deux ou trois fois par semaine. Au volant de leur vieille camionnette, ils vantent les mérites de leur marchandise. "De belles petites fèves, j'ai! De bonnes petites patates, j'ai! Des tomates, j'ai (on se demande alors si ses tomates sont grosses et mauvaises)!" ou encore "Je suis Yanni de Thessaloniki! Je vends des vêtements pour femmes, hommes et enfants! Venez voir! Tout mon stock est réduit! J'ai tout à 5 euros, 10 euros, 15 euros!". De temps en temps, un vendeur au marketing un peu plus sophistiqué vend sa salade sur fond de bouzoukia préenregistré... Le haut-parleur bon marché ne peut que crachoter des sons distordus et saturés mais peu importe. Le marchand attire l'attention, c'est certain.


Chemin menant au village

Je vais donc bientôt quitter cette vie tranquille pour retourner dans le chaos d'Athènes. Je serai moins isolée pour passer l'hiver, là-bas, et il y a toujours des activités intéressantes à faire dans une grande ville en période hivernale. Cependant, je retournerai vivre en Crète au printemps. Je me ferai un jardin et je recommencerai à vivre dehors, à faire des BBQ, à aller cueillir des fruits et des herbes dans la nature, à aller à la mer... Une fois qu'on a goûté à ça, c'est vraiment difficile de s'en passer. :)


L'olivier, l'arbre nourricier du pays

J'ai bien failli participer à la récolte des olives cette année, du moins à petite échelle. J'avais proposé à mon propriétaire anglais de récolter avec lui les olives de ses deux oliviers et il avait accepté. Ça aurait été une première pour lui aussi. Deux gros oliviers comme les siens produisent suffisamment d'huile pour répondre aux besoins d'une famille de quatre personnes pour toute une année! Malheureusement, il est tombé malade et nous avons dû renoncer à ce projet. L'an prochain, peut-être...


Des chèvres broutent tranquillement